sept. 08, 2024

Vincent Defourny

Vincent Defourny, Directeur de l’UNESCO :

« Et si l’UNESCO n’existait pas… »

VD : À l’UNESCO, nous connaissons la liste du patrimoine mondial, mais il n’y a pas que cette liste, il y a aussi celle du patrimoine immatériel. Ainsi, ces deux volets s'inscrivent dans un dispositif global de l’UNESCO visant à protéger les éléments culturels et à promouvoir la diversité culturelle. La convention de 1972, relative au patrimoine mondial, encourage les États à protéger des sites ayant une valeur exceptionnelle et universelle. Elle ne se limite pas à la beauté ou à l'intérêt relatif des sites, mais vise plutôt ceux qui ont une valeur exceptionnelle et universelle. Ainsi, l'inscription sur la liste du patrimoine mondial n'est pas un concours de beauté, mais une démarche visant à protéger ces sites au nom de l'Humanité.

La convention de 2003, quant au patrimoine immatériel, concerne toutes les pratiques culturelles développées dans un pays ou par des communautés. Il s'agit de reconnaître des pratiques culturelles importantes pour une communauté, et contrairement au patrimoine mondial, l'inscription sur la liste du patrimoine immatériel se fait presque automatiquement dès lors qu'une communauté déclare que cette pratique est essentielle pour elle. Ces deux aspects du travail de l’UNESCO visent à promouvoir et protéger la diversité des pratiques culturelles.

L'UNESCO travaille sur les questions culturelles, car la culture est un levier important pour construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes. C'est à travers la culture, l'éducation, la science et la communication que l'on peut trouver les mécanismes de reconnaissance entre les peuples. C'est cette idée fondamentale qui guide l'UNESCO : quels sont les éléments culturels qui permettent de construire la paix.

Comment puis-je présenter les pratiques de mon pays à l’UNESCO ?

VD : Cela dépend du type de pratique. Si c'est un monument ou un lieu ayant une valeur culturelle ou naturelle, il faut suivre une démarche pour constituer un dossier de candidature. L'État du Kirghizistan doit inscrire le lieu sur la liste indicative et sur la liste qu'il souhaite présenter à l'UNESCO. Ensuite, un dossier détaillé doit être constitué, répondant à de nombreux critères, ce qui constitue un processus souvent long, parfois prenant 15 à 20 ans. Il est essentiel de documenter les raisons pour lesquelles on souhaite inscrire ce lieu en fonction des critères de la convention de 1972. Une fois le dossier complet, des ONG indépendantes évaluent le site avant de présenter leur évaluation au comité du patrimoine mondial, composé de 28 pays élus qui décideront de l'inscription ou non sur la liste.

Connaissez-vous des lieux que vous voudriez classer ?

VD : Non, la démarche doit commencer au niveau national. Chaque pays doit identifier les lieux qu'il souhaite protéger, conformément à ses lois nationales. Seulement après cela, la démarche peut devenir internationale. C'est un principe fondamental.

Si l'UNESCO n'avait pas été créée en 1945, que serait-il advenu des richesses du monde ?

VD : Si l'UNESCO n'existait pas, il faudrait l'inventer. Il est difficile d'imaginer un scénario pour les 75 dernières années sans l'UNESCO. L'organisation a joué un rôle crucial dans des projets tels que le CERN, le développement du Web, la préservation de monuments tels que ceux de Nubie en Égypte, et a jeté les bases du concept de développement durable avec le programme « l'Homme et la biosphère » dans les années 60. L'UNESCO travaille de manière approfondie dans de nombreux domaines pour rapprocher les peuples et construire la paix.

Y a-t-il des ennemis de l'UNESCO ?

VD : L'UNESCO n'a pas d'ennemis déclarés, mais l'ignorance et le refus de la diversité sont ses principaux adversaires. L'organisation veut travailler avec tout le monde de manière inclusive, cherchant à construire la paix dans l'esprit des hommes.

Le mandat de l'UNESCO reste-t-il le même ?

VD : Le mandat de l'UNESCO est plus actuel que jamais et très fort. Cependant, comme pour de nombreuses organisations internationales, les moyens attribués ne sont pas toujours à la hauteur du mandat. Le budget de l'UNESCO équivaut environ au budget d'une université en Europe, bien loin des budgets militaires.

Est-ce toujours regrettable que deux pays aient quitté l'UNESCO ?

VD : C'est toujours dommage lorsque des pays quittent l'UNESCO, comme les États-Unis et Israël. Cependant, la porte de l'UNESCO reste ouverte, et tous les États membres désireux de la rejoindre sont les bienvenus. L'objectif est d'être aussi universel que possible.

Beaucoup de fondations et d'ONG pensent que l'UNESCO peut aider financièrement. Comment répondez-vous à cela ?

VD : L'UNESCO n'a pas de moyens financiers pour soutenir spécifiquement les activités des ONG. Son travail consiste à créer des conditions pour le développement des compétences dans chaque pays, à travers des formations et des réunions internationales établissant des normes et orientations.

Pensez-vous qu'il y a des côtés négatifs à la mondialisation ?

VD : Lorsque la mondialisation signifie uniformisation au détriment de la diversité culturelle, c'est un appauvrissement du monde. La diversité culturelle est aussi importante que la biodiversité. La mondialisation doit favoriser la diversité culturelle tout en créant des ponts pour construire une pensée collective.

Pendant l'URSS, il y avait le rideau de fer, et après l'ouverture, des changements sont survenus. Certains disent que les mentalités ont changé à cause des Occidentaux. Qu'en pensez-vous ?

VD : Il est essentiel de reconnaître et de préserver ce qui est important dans chaque culture tout en créant des passerelles pour la compréhension mutuelle. La diversité culturelle ne doit pas être repliée sur elle-même, mais cultivée et partagée.

Quels continents ont le plus contribué à la liste du patrimoine mondial ?

VD : Initialement orientée selon des critères occidentaux, la liste du patrimoine mondial a évolué avec l'expression de pays et continents ayant une tradition orale importante. La convention du patrimoine immatériel a été créée pour reconnaître la diversité culturelle, permettant d'inclure des pratiques culturelles variées provenant du monde entier.

En ce qui concerne les langues en danger, quelles mesures l'UNESCO prend-elle ?

VD : L'UNESCO suit l'évolution des langues et dialectes, publiant un atlas en ligne des langues en danger. La diversité linguistique est essentielle, car chaque langue porte une culture unique.

Quel est le niveau de dangerosité des problèmes mondiaux tels que le réchauffement climatique ?

VD : Là où la dignité humaine est bafouée, il y a un problème. Les défis peuvent prendre de nombreuses formes, de la haine sur internet au terrorisme. L'UNESCO s'efforce de s'attaquer à ces problèmes pour rapprocher les peuples.

Enfin, qu'en pensez-vous des classements annuels du pays le plus heureux ?

VD : Les classements du pays le plus heureux manquent de crédibilité en raison du manque de méthodologie et de critères clairs pour définir le bonheur. L'UNESCO ne les considère pas comme des indicateurs valables.

Zhenishbek EDIGEEV



Zhenishbek Edigeev

Président de l'Association "Alpalatoo"

Le siège principal de l'Association "Alpalatoo" est situé dans la ville de Genève, avec une succursale dans la capitale du Kirghizistan, à Bichkek.

Adresse : Ville de Genève, 24 rue Chemin de Beau-Soleil 1206