mai 20, 2025

La finance islamique : une alternative face au surendettement ? Entretien avec Michael Gassner, expert basé à Genève

– Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m'appelle Michael Gassner. Je suis expert en finance islamique et je vis à Genève depuis onze ans. Avant cela, j'ai travaillé en Arabie Saoudite pour une banque islamique, et auparavant en Allemagne, mon pays d'origine. Depuis ma jeunesse, je m'intéresse aux questions financières, notamment aux problèmes liés à la dette. J’ai d’abord été formé dans une banque coopérative de ma ville, puis j’ai étudié la finance et l’économie. Après une première expérience dans la “New Economy” qui s’est effondrée il y a vingt ans, j’ai réorienté ma carrière vers la finance islamique. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre pourquoi ce système pourrait être bénéfique, notamment dans les pays européens, et quels en sont les objectifs.

– Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la finance islamique ?
Parce que le surendettement est un problème massif aujourd’hui : au niveau individuel, au niveau des États, et au niveau mondial. Ce sont toujours les plus pauvres qui en souffrent le plus. On voit par exemple aux États-Unis ou en Angleterre, des étudiants endettés à vie pour leurs études. De manière générale, la dette de consommation croît de manière exponentielle. Aujourd’hui, on est dans une phase finale de cette croissance incontrôlée, et je m'intéresse à des alternatives pour mieux gérer ces dérives.

– Qu’est-ce qu’une banque islamique ? En quoi diffère-t-elle d’une banque traditionnelle ?
Une banque islamique ne propose pas de prêts à intérêts. Elle achète un bien, puis le revend au client avec un paiement échelonné. Le prix est fixé à l’avance, ce qui évite la croissance exponentielle des dettes. Cela permet de mieux maîtriser les risques de surendettement.

– Quels sont les avantages de la finance islamique ?
Elle aide à prévenir le surendettement en imposant un cadre plus strict : ne pas dépenser plus que ce que l’on gagne, éviter les intérêts, partager les risques. Ces principes sont en réalité du bon sens, mais ils sont systématisés dans la finance islamique.

– Tout le monde peut bénéficier de ces services, ou est-ce réservé aux musulmans ?
Tout le monde peut en bénéficier. En Malaisie, par exemple, de nombreux clients de la finance islamique sont des Chinois non musulmans. C’est un système ouvert à tous, avec simplement une approche différente.

– Quels sont les grands principes qui structurent la finance islamique ?
L’interdiction de l’intérêt, le partage des risques, la transparence, et la responsabilité sociale. Le Coran interdit le « riba », qu’on traduit souvent par intérêt, mais qui signifie en arabe "croissance". L’idée, c’est que la monnaie ne doit pas produire de la monnaie sans activité réelle. Cela crée des injustices sociales, notamment pour les plus pauvres.

– Peut-on dire que le Coran interdit complètement le crédit ?
Non, le Coran interdit la location de monnaie contre de la monnaie avec intérêt. En revanche, acheter quelque chose et le payer plus tard, à un prix convenu, est permis. Ce sont deux logiques différentes.

– Ce système existe depuis quand ?
Cela fait près de 1 500 ans. Mais même dans les traditions chrétiennes et juives, cette interdiction de l’intérêt existait. D’autres civilisations ont aussi limité la croissance exponentielle des dettes.

– Comment se passe concrètement le financement d’une maison, par exemple ?
La banque achète la maison, puis la revend au client à un prix plus élevé mais fixe, payable sur plusieurs années. Ce prix comprend les frais financiers, mais il n’évolue pas avec le temps. C’est la différence essentielle.

– Avez-vous un exemple concret ?
Oui, imaginons qu’un client achète une maison. La banque la finance et lui revend par tranches annuelles : chaque année, il rachète 10 % de la maison. Pour la part qu’il ne possède pas encore, il verse un loyer à la banque. C’est un modèle appelé Musharakah Mutanaqisah.

– Y a-t-il des risques ou des pièges ?
Oui, surtout pour les banques. Dans certains pays, la législation ne permet pas aux banques d’acheter ou de vendre des biens, comme en Russie. Cela complique les choses. En Allemagne, certaines ventes de maisons à double prix ont aussi créé des litiges. Si la maison a un défaut, le client peut se retourner contre la banque Islamique, ce qui ajoute du risque.

– Y a-t-il des banques islamiques en Suisse ?
Non, pas encore. En Europe, il y en a seulement trois : la banque Rayan en Angleterre, KT Bank en Allemagne, et Bosna Bank International en Bosnie.

– Quelles sont les barrières pour créer une banque islamique en Europe ?
Le problème est d’ordre réglementaire et économique. Pour être compétitive, une nouvelle banque doit être de taille suffisante. Cela demande énormément de capital et d’énergie. Certaines législations, comme au Luxembourg, en France ou au Royaume-Uni, ont été adaptées pour faciliter la finance islamique, mais le coût reste élevé. En général, il faut au moins 100 millions d’euros de capital pour lancer une petite banque.

– Vous proposez aussi des cours. À qui s’adressent-ils et comment s’y inscrire ?
Mes cours concernent la gestion de fortune, l’éducation financière en général, et plus spécifiquement la finance islamique. Ils s’adressent aux musulmans mais aussi à toute personne intéressée. Pour le moment, le cours est en version bêta sur la plateforme Udemy. Il est accessible uniquement sur invitation, via un lien et un code que je fournis personnellement.

Michael Gassner
Michael Gassner

Zhenishbek Edigeev

Président de l'Association "Alpalatoo"

Le siège principal de l'Association "Alpalatoo" est situé dans la ville de Genève, avec une succursale dans la capitale du Kirghizistan, à Bichkek.

Adresse : Ville de Genève, 24 rue Chemin de Beau-Soleil 1206